lundi 5 avril 2010

Chapitre 4: Ça y est, encore un audit à l'informatique !

Caroline regarde sa montre pour la deuxième fois. Elle n’aime pas les réunions qui commencent en retard, même s’il s’agit d’un petit-déjeuner. Noémie Lagourd, la DRH, est en pleine conversation avec Paul Bellon ; Armand Pujol profite des croissants tout en consultant son Blackberry. Armand, dont la haute stature est accentuée par une épaisse chevelure bouclée, est le directeur du Business Development de MonEp.

« Excusez notre retard », déclare Antoine Viener en entrant dans la pièce en compagnie de son invité. « Je vous présente Jean-Pierre Lestrade, qui est un senior associate du cabinet HeadStart. Jean-Pierre a réalisé une mission sur la réorganisation de la direction technique de notre concurrent BPN, et j’ai pensé qu’il serait intéressant de discuter autour des idées et des principes proposés par HeadStart à BPN, sans rentrer dans le détail de la mission bien entendu.

– Bonjour à tous, je suis très heureux de faire votre connaissance et de pouvoir discuter d’organisation. Antoine m’a brièvement décrit l’organisation de MonEpargne.com et de sa DSI ». Jean-Pierre Lestrade a une voix grave et posée, en harmonie avec ses cheveux blancs et sa forte corpulence. Caroline ne l’a jamais rencontré, mais elle a beaucoup entendu parler de lui, en termes élogieux.

« En fait, j’aimerais vous parler de deux sujets : l’organisation en tant que structure, et l’organisation en tant que machine, dont le fonctionnement peut être fluidifié et accéléré. Bien sûr je vais m’appuyer sur l’exemple de BPN, mais je préfère traiter le sujet de façon générale, et d’ailleurs pas forcément uniquement celui d’une DSI. En matière d’organisation, nous avons travaillé sur deux directions : l’alignement de la structure sur les processus métiers de l’entreprise et l’aplatissement des hiérarchies ».

Caroline se dit que c’est un bon choix de sujets : on ne parle que de cela dans la littérature sur le management et ils sont tout à fait d’actualité à MonEp. D’ailleurs, Jean-Pierre Lestrade a l’attention des cinq participants, plus personne ne touche son assiette.

« L’orientation processus d’une DSI peut se comprendre de plusieurs façons. On peut s’appuyer sur les processus internes, en utilisant un référentiel des processus de développement et d’exploitation, COBIT par exemple. L’organisation de la DSI autour de ses propres processus est une bonne pratique, mais elle n’est pas suffisante pour une entreprise de service grand public, surtout si elle utilise les nouvelles technologies et les nouveaux canaux pour communiquer avec ses clients. Dans ce cas, le système d’information est « la colonne vertébrale des processus clients », et il faut que la DSI soit organisée de façon à optimiser la performance de bout en bout des processus, du point de vue du client. Bien entendu, ce n’est pas une question propre à la DSI : il n’est pas suffisant d’aligner la DSI sur les processus, si ce n’est pas le cas pour l’organisation de l’entreprise en général, mais c’est particulièrement important pour la DSI, pour assurer la qualité de service et la réactivité en cas d’incidents.

– Est-ce que cela signifie que vous pensez qu’il faut créer des directions de la DSI qui correspondent aux principaux processus, tels que la vente de produits, la consultation de comptes ou l’utilisation de services ?

– Oui, mais il faut aller plus loin. Armand Pujol interrompt Caroline. Il faut rétablir une unité de commandement et de ressources pour les processus clés. Avec les logiciels intégrés que tu nous installes, il y a trop de parties prenantes. Il faudrait que tu sépares les fonctions des logiciels par processus et que tu les installes sur des serveurs séparés. De telle façon, chaque processus pourrait gérer ses projets de façon très autonome et très agile, avec ses propres ressources.

– Cela n’a pas de sens, réplique Caroline, une grande partie de nos logiciels est des progiciels, que nous ne pouvons pas décomposer. Même si nous n’utilisions que des développements spécifiques, construire un SI de cette façon nous coûterait très cher. Un grand nombre de processus utilisent les mêmes fonctions, la construction des logiciels essaye précisément de les mutualiser ».

– Vous avez, bien entendu, raison. Jean-Pierre Lestrade rassure Caroline. La réduction continue des coûts d’opérations est un postulat de votre industrie, et elle suppose de mutualiser ce qui peut l’être. Il ne faut pas de revenir en arrière, mais de faire en sorte que l’existence de composants ou de services communs ne soit pas un frein à l’efficacité des processus. Plus précisément, il faut que la collaboration et l’orchestration entre les différents services, qui correspondent à l’exécution des processus, soient assurées de façon explicite par une structure visible de l’entreprise, avec ses ressources et sa légitimité. Sinon, la logique propre de chaque service prime sur la vision globale et on obtient une entreprise en « silos », avec une perte d’efficacité dans le déroulement des processus.

– Cela veut-il dire qu’il faut mettre en place une organisation matricielle ? demande Armand Pujol.

– Pas forcément ; ce que nous avons proposé pour BPN est une approche plus légère, et moins perturbante pour les collaborateurs. Nous l’avons appelée l’organisation par « courants ». Un courant de force est un ensemble de moyens, financiers, organisationnels et logistiques, associés à un objectif de l’entreprise. Nous avons réduit l’importance de l’organisation fonctionnelle en place en réduisant sa complexité et surtout en l’aplatissant. Cette organisation hiérarchique allégée n’est pas « autoporteuse », elle ne se suffit pas à elle-même. Pour piloter l’entreprise, elle a besoin de ces courants, qui sont précisément définis à partir d’une segmentation des processus clients. » Jean-Pierre Lestrade fait circuler un document avec une figure centrale, un mélange de formes colorées et de flèches qui est visiblement incompréhensible pour la plupart des participants, au vu de leurs airs ahuris.

« La combinaison entre une structure orientée-processus, qui est dynamique et légère, tout en autorisant les croisements et la redondance, et une structure hiérarchique simple et réactive parce que peu profonde, semble donner de bons résultats.

– Je ne suis pas favorable aux structures trop aplaties, intervient Noémie Lagourd, plus le nombre de collaborateurs directs augmente, moins chaque manager peut leur consacrer du temps. À la fin, les points en one-to-one n’ont lieu qu’une fois par mois, il n’y a plus d’échange personnel, et les relations sont réduites au pilotage opérationnel. Mon expérience est que pour pouvoir réfléchir de façon stratégique et préparer l’avenir, il ne faut pas dépasser les équipes de sept : au-delà, il y a trop de participants aux comités de direction pour réfléchir, et pas assez de temps dans les points individuels pour aborder la stratégie.

– C’est parce que tu veux faire jouer tous les rôles à la structure hiérarchique », répond Antoine, en indiquant le triangle rose pâle qui est au centre du document. « L’avantage d’une structure plate, c’est que l’information circule mieux et que l’ensemble de l’organisation est mieux aligné sur les objectifs de la direction générale. Dans notre business, la réactivité est fondamentale, et elle repose sur la fluidité de la propagation des priorités et des changements d’orientation.

– Cette notion de fluidité est vraiment importante, cela a été notre deuxième axe de travail à la BPN « Jean-Pierre Lestrade reprend la parole en souriant, avec l’autorité du professeur qui apprécie la vivacité de ses élèves. » Alléger l’organisation hiérarchique, ce n’est pas seulement l’aplatir, c’est également la maintenir en tension du point de vue des ressources, ce que l’on appelle le lean management. La recherche du « poids de forme optimal » est une bonne pratique pour une DSI, mais aussi pour les autres directions de l’entreprise. Une organisation « maigre », si je peux dire, est alignée par défaut. Elle n’a pas les ressources pour diverger et conduire plusieurs stratégies au même moment. Au contraire, dès qu’il y a un peu de sureffectif, on constate que les collaborateurs créent leur propre activité et affaiblissent l’efficacité générale.

– C’est une question de management, réplique Caroline, il faut savoir gérer les variations de charge. Moi, je constate, au contraire, qu’il faut un peu de « gras », pour rester sur le même registre, pour pouvoir capitaliser et pour pouvoir anticiper. Lorsque nous sommes en sous-capacité, ce qui nous arrive, je constate que nous ne sommes plus capables de piloter le long et le moyen termes avec pertinence, donc efficacité.

– Je suis d’accord avec vous, c’est une question de management, on peut appliquer une approche « lean » et conserver des capacités d’anticipation. Il faut juste s’assurer que ces capacités sont identifiées avec précision en termes de localisation et d’utilisation. L’absence de fluidité conduit à ce que j’ai décrit comme des « silos ». Chacun reste dans son organisation et toute transition d’un silo à un autre prend trop de temps. Le stress induit sur la gestion des ressources conduit à une entreprise plus rigide et plus lente. Pour éviter cela, il faut multiplier les « généralistes », les collaborateurs dont le champ de compétence s’étend sur un spectre large, ce qui permet d’assurer une partie du suivi de bout en bout.

– Certes, mais nous avons également besoin de spécialistes, d’experts. Nous avons besoin de collaborateurs stables, même de collaborateurs à cheveux blancs – Caroline ajoute cette remarque avec le sourire – pour capitaliser notre expérience, retenir ce qui fonctionne mais surtout comprendre nos erreurs. Cela étant, je trouve votre approche centrée sur la propagation de l’information très intéressante et elle me fait mesurer ce que des spécialistes, comme HeadStart, peuvent apporter en termes d’organisation. Cependant, il y a un travail complexe d’adaptation à la situation de MonEp et certains objectifs sont contradictoires. Comment pourriez-vous nous aider ?

– Il n’existe pas de solution magique, chaque organisation représente un compromis », acquiesce Jean-Paul Lestrade. « Comme vous l’avez compris, il existe un certain nombre de leviers en termes d’organisation, qui agissent sur un certain nombre de caractéristiques dont nous venons de parler, telles que la réactivité, la flexibilité, l’optimisation de l’allocation de ressources. Certains de ces leviers ont des effets antagonistes, et ce qui est adapté à une organisation ne l’est pas forcément à une autre. La bonne méthode est de commencer par faire un bilan des forces et des faiblesses de l’organisation en place, et d’identifier le sous-ensemble des caractéristiques – capitalisation, réactivité, alignement, cohérence… – sur lesquelles on souhaite agir. Une réorganisation consiste alors à mettre en place quelques leviers adaptés à ces objectifs, puis à évaluer quelques mois plus tard si l’action combinée va dans le bon sens.

– Voici une démarche qui me plaît, conclut Paul Bellon, une véritable application de PCDA – la roue de Deming : Plan, Do, Check, Act – au domaine de l’organisation. »

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